Un frein à la progression des feux de forêt


En Indonésie, des interventions humaines viennent renverser une tendance de longue date

Date de publication : 2024-04-29 12:15:00

Photo : iStock, Toa55


À certains endroits dans le monde, les feux de forêt sont de moins en moins sévères. Si vous vivez au Canada, la chose vous semblera probablement surprenante, voire inconcevable. En effet, ces dernières années, ces événements ont fait la une comme jamais au pays – pensons à la destruction quasi totale de Lytton, en Colombie-Britannique, en 2021, ou encore aux incendies qui ont touché le Québec en 2023 et assombri le ciel jusqu’à New York. Cependant, Sean Sloan, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dimensions humaines de la durabilité et de la résilience à la Vancouver Island University, a découvert, en faisant une analyse minutieuse de données satellites quotidiennes couvrant près de 20 ans, que la sévérité des feux de forêt en Asie équatoriale semble en baisse, probablement en raison des interventions humaines.

« Cette diminution des feux de forêt découle de la gestion des terres, affirme-t-il. L’être humain gère un territoire de plus en plus vaste, et de manière plus serrée, ce qui fait qu’il prévient et éteint davantage les feux. C’est un phénomène qui, à beaucoup d’endroits, n’a pas été bien étudié. »

Une inversion de tendance qui donne espoir

Un peu partout sur la planète, les feux de forêt sont de plus en plus fréquents et sévères, en bonne partie à cause des changements climatiques, qui rendent nos étés plus chauds et plus secs. On pourrait penser que l’activité humaine ne fait qu’empirer les choses, mais ce n’est peut-être pas toujours le cas. À certains endroits – notamment dans les régions de savanes semi-arides d’Afrique –, la gestion accrue des terres, sur un territoire toujours plus grand, a eu pour effet de diminuer le nombre et la sévérité des feux dans des zones naturellement sensibles à ce phénomène, ce qui s’est traduit par une tendance à la baisse des feux de forêt en général.

Mais l’inverse est aussi vrai dans les biomes de forêts pluviales au climat humide. Ici, l’être humain éclaircit et assèche des forêts qui résistent naturellement aux incendies, les rendant ainsi plus à risque de brûler. C’est exactement la situation qui prévalait en Indonésie, où l’expansion des plantations de palmiers à huile et la dégradation des tourbières créaient des conditions idéales pour le feu. De plus, avec le phénomène cyclique El Niño, qui entraîne des sécheresses importantes tous les cinq ans environ, les feux gagnaient constamment en taille et en intensité. D’ailleurs, l’Indonésie enregistre systématiquement les plus grands feux de forêt tropicaux depuis les années 1970.

Selon M. Sloan, des changements récents et graduels en matière de gestion des terres viennent toutefois infléchir cette tendance de longue date.

« Lorsqu’El Niño est présent, la région brûle comme du foin sec. L’Indonésie semblait donc le dernier endroit pour observer une diminution de la sévérité des incendies. Mais si on examine bien les données, la tendance en ce sens est claire. »

L’être humain peut changer la donne

Les données sur les feux, la plupart provenant d’images satellites, tracent un portrait des zones d’incendie et de la couverture terrestre à un moment précis. Dans ses recherches, M. Sloan a fait un examen très détaillé de ces images et a compilé et traité des données non pas seulement sur les feux au quotidien, mais aussi sur l’utilisation des terres et les précipitations. Ainsi, il a pu élaborer un modèle permettant de repérer, de classifier et de suivre différents feux ayant eu lieu en Indonésie entre 2002 et 2019. Il a constaté, après neutralisation du degré de sécheresse relative de chaque saison des feux, que dans les faits, la sévérité des incendies avait connu une baisse au cours de la période étudiée.

Même si ses recherches n’avaient pas pour but de trouver les causes de cette tendance, M. Sloan relève plusieurs changements clés dans la gestion des terres en Indonésie, qui ont possiblement eu un effet sur la sévérité des feux. De plus en plus, on observe une expansion et une intensification de l’activité agricole. Étant donné la réduction de la quantité d’arbres et de broussailles sur les terres mixtes (agriculture et couvert forestier) qui en découle, il reste moins de biomasse pouvant servir de combustible. En parallèle, les propriétaires fonciers qui investissent de façon importante dans leurs terres veulent protéger ces actifs en renforçant les mesures de suppression des incendies.

En outre, le gouvernement indonésien, dans la foulée d’incendies sévères survenus en 2015, a instauré des mesures strictes visant à améliorer la gestion des feux sur les terres gérées. À cela s’ajoute une baisse mondiale du prix de l’huile de palme qui, combinée à une réglementation gouvernementale plus rigoureuse de cette industrie, a probablement ralenti l’expansion des plantations de palmiers à huile au pays, ce qui pourrait avoir freiné les incendies par rapport à ce qu’on voyait jusqu’à maintenant.

« Bien que les données probantes ne soient pas assez solides pour être sans équivoque, les recherches indiquent que ce sont probablement les facteurs non climatiques – c’est-à-dire la gestion des terres – qui expliquent la diminution de la sévérité des feux », estime M. Sloan.

L’avenir reste incertain

Les travaux de M. Sloan, parce qu’ils portent sur des changements à grande échelle s’étendant sur des décennies, ne peuvent servir d’emblée à l’élaboration de politiques. De plus, les conclusions qu’il a tirées en Indonésie ne sont pas applicables directement à d’autres régions sujettes aux feux de forêt – dont le Canada –, car les différences en matière de contexte social, de climat et de gestion de la forêt peuvent produire des résultats divergents. Malgré tout, ces constats, qui indiquent que l’action humaine peut avoir une influence sur l’intensité des feux de forêt, même dans les régions les plus sensibles, pourraient aider à démontrer l’efficacité des programmes de prévention et de suppression des incendies.

Il y aurait lieu de mener d’autres travaux pour mieux comprendre la relation entre cette action et les feux de forêt, et M. Sloan croit qu’il importe de déceler les tendances cachées, qui peuvent nous donner une image plus complète des phénomènes mondiaux.

« J’étudie des aspects plus négligés au sein de phénomènes d’envergure qui sont plutôt négatifs – des éléments plus opaques qui vont à contre-courant ou des échos émanant de bouleversements bien connus. Ainsi, il est possible de générer un portrait plus positif de la situation ou de parvenir à une meilleure compréhension des grands changements environnementaux. »


Vous voulez en savoir plus?

Pour en savoir plus au sujet des recherches de Sean Sloan sur les feux de forêt et la régénération forestière, consultez son profil de la Vancouver Island University (en anglais) et lisez son article, « Declining severe fire activity on managed lands in Equatorial Asia ».